Efficacité énergétique et projets de durabilité, quels retours sur investissement ?

24 octobre 2025

Efficacité énergétique et projets de durabilité, quels retours sur investissement ?

Les projets de durabilité et d’efficacité énergétique se voient souvent opposer une faible rentabilité financière. Conséquence : les projets sont jugés peu ou pas prioritaires. Est-ce toutefois si simple de calculer le temps de retour sur investissement ?

Entretien avec la Dr Catherine Cooremans, qui nous parle des bénéfices non-énergétiques (BNE) des projets d’économie d’énergies et de leur impact sur le temps de retour sur investissement. Chercheuse à l'Université de Genève et de Lausanne, Catherine est une experte de longue date de ce sujet. Elle a par ailleurs développé la méthode et l’outil MBENEFITS, qui permettent d’avoir une approche structurée et systématique pour l’identification et l’évaluation des BNE.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu'on entend par "bénéfices non-énergétiques (BNE)" ?

Catherine Cooremans : on parle de bénéfices non-énergétiques (BNE) pour décrire tous les impacts d’un projet d’efficacité énergétique sur d’autres domaines que l’énergie. Cela concerne notamment la performance de la production, la qualité des produits, la réduction des déchets ou de la consommation d’eau, la réduction des émissions (autre que le CO2, comme les SOx, NOx, le CO ou les gaz fluorés), la sécurité ou encore le confort et la réduction des risques de l’environnement de travail.  

Avez-vous un exemple concret de BNE ?

Imaginez une boulangerie industrielle et son four de cuisson, un appareil de 10 mètres de long. Dans certains vieux modèles, la chaleur de cuisson est inégale et les parois peu épaisses et mal isolées. Changer le four ne permet pas seulement de faire des économies d’énergie, mais aussi de réduire les risques d’accident, d’améliorer les conditions de travail et d’augmenter la qualité des produits (ou réduire les pertes). Lorsqu’on prend en compte les BNE, on identifie tous ces impacts et on cherche à les quantifier.

On peut donc quantifier monétairement ces bénéfices ?

Pour la majorité oui. La méthodologie MBENEFITS est une démarche d’analyse structurée qui permet de n’oublier aucun BNE. La plupart sont quantitatifs et monétisables. Certains bénéfices purement qualitatifs sont cependant très importants, comme la contribution au succès de la stratégie carbone de l’entreprise, la réduction de risques ou encore l’amélioration de la satisfaction et de la loyauté du personnel. Ces BNE doivent donc aussi d’être identifiés et communiqués.

Quel est l’impact de la prise en compte des BNE sur le temps de retour sur investissement ?

Dans le projet de recherche sur lequel j’ai travaillé, sur les 19 évaluations que nous avons réalisées, le temps de retour sur investissement est divisé en moyenne par 2.5. Certains projets montent jusqu’à 3, mais ce sont des cas extrêmes. L’impact est donc énorme. Pratiquement tous les projets deviennent acceptables et finançables pour les entreprises. Ces résultats viennent en confirmation d’autres recherches menées depuis 30 ans.

Par exemple, nous avons analysé un projet dans l’industrie horlogère. Après usinage, certaines pièces sont lavées selon un processus complexe et plusieurs étapes spécifiques sont  à respecter. Dans la situation initiale, deux cuves stockaient de l’eau à 70°C en continu, car l’eau chaude doit être à disposition rapidement. Le projet d’efficacité énergétique visait à remplacer les deux cuves par un système de récupération d’énergie sur l’installation d’air comprimé pour avoir de l’eau à 45°C en circuit fermé. L’eau peut ensuite rapidement être chauffée de 45°C à 70°C. Au-delà des économies d’énergie, le remplacement permet d’éviter : le nettoyage des cuves (à l’acide) une fois par semaine, les produits chimiques, les accidents de travail relatifs et le remplacement des cuves (3 remplacées ces 10 dernières années). La prise en compte de ces effets indirects positifs a permis de faire passer le temps de retour sur investissement de 13 à 4.7 années et de faire en sorte que le projet soit accepté par la direction. La prise en compte des BNE a été décisive, dans ce projet comme dans de nombreux autres.

Est-ce que la méthode peut être utilisée pour des projets de durabilité autres que des projets d’efficacité énergétique ?

Oui, c’est tout à fait possible. Par exemple : nouvelle manière de gérer des déchets, économie d’eau, projet d’économie circulaire, bien-être au travail et bien d’autres.

Est-ce que réaliser une analyse est compliqué ?

Non, mais cela nécessite un peu de temps, variable selon le type de projet envisagé. C’est néanmoins un investissement extrêmement utile à la prise de décision. La méthode propose 4 étapes :

  1. Planter le décor : il s’agit d’analyser le contexte de l’investissement, comprendre l’activité de l’entreprise, saisir les barrières à l’efficacité énergétique ou encore identifier les acteurs importants, notamment pour obtenir du soutien ou les bonnes données.
  2. L’analyse opérationnelle identifie et cartographie les impacts sur 4 niveaux : consommation d’énergie, machines et équipements modifiés par l’APE (action de performance énergétique), services énergétiques et processus impactés par l’APE. Cette étape permet d’identifier la majorité des BNE.
  3. L’analyse stratégique répartit ensuite les impacts en faisant le lien avec la compétitivité de l’entreprise : amélioration de la proposition de valeur à l’égard des clients, des employés, des actionnaires et financeurs, réduction des coûts et réduction des risques.
  4. L’analyse financière complète des projets d’investissements (CAPEX, recettes énergétiques et non-énergétiques) et permet d’avoir la vue d’ensemble finale.

Les deux analyses (financière et stratégique) sont complémentaires et importantes pour la prise de décision. L’analyse BNE met en évidence l’intérêt stratégique pour l’entreprise à réaliser un investissement, car celui-ci améliore sa compétitivité globale (pas seulement énergétique). 

Quels sont les défis et les barrières à ces évaluations ?

J’ai identifié 4 barrières :

  • L’accès aux données est souvent perçu comme une barrière. L’expérience montre toutefois que si on pose les bonnes questions, on trouve les données.
  • L’absence de méthodologie, une barrière qui n’en est plus une avec la méthodologie MBENEFITS. 

Les barrières réelles sont :

  • Les compétences : les experts énergie ou durabilité n’ont souvent pas les compétences managériales leur permettant d’analyser des éléments tels que la proposition de valeur, l’excellence opérationnelle et les risques.
  • Contrairement à l’audit énergétique, souvent obligatoire ou partiellement subventionné, l’audit non énergétique (l’analyse complémentaire BNE) n’est pas demandé par le cadre légal ni subventionné. Les acteurs du marché (bureaux d’ingénieurs, managers énergie des entreprises consommatrices) ne voient donc pas le besoin de cette analyse et de son coût.

Pour conclure, les projets d’investissement en efficacité énergétique sont aujourd’hui présentés de manière incomplète et souvent inappropriée aux dirigeants, en ne mettant pas en évidence la rentabilité réelle de l’investissement, grâce notamment à des impacts positifs forts sur la compétitivité de l’entreprise (premier moteur de la décision d’investir). L’analyse BNE met en évidence l’intérêt stratégique ET l’intérêt financier pour l’entreprise de la mise en œuvre. Le projet pilote soutenu par le Canton de Vaud désire justement changer cet état de fait, en donnant plus d’atouts aux acteurs de l’énergie et de la durabilité lorsqu’ils doivent convaincre des dirigeants d’entreprise de mettre en place de tels projets.

> Appel à candidature : évaluer la rentabilité des projets d’efficacité énergétique et de durabilité