Pouvoir d’achat et RSE : écouter, comprendre et créer un récit commun.

12 août 2025

Pouvoir d’achat et RSE : écouter, comprendre et créer un récit commun.

En Suisse romande, le pouvoir d’achat remonte légèrement, mais la prudence reste de mise : 57 % des consommateurs réduisent encore leurs dépenses et 42 % privilégient les discounters.

Dans le même temps, la perception des engagements RSE des entreprises s’améliore : 29 % jugent les entreprises romandes suffisamment engagées, soit +14 points par rapport à 2023.

Pour comprendre ce qui se joue derrière ces chiffres, Yves Loerincik a rencontré Julia Pacifico, Directrice Directrice d'études qualitatives chez Qualinsight et co-autrice du Baromètre RSE & Pouvoir d’Achat 2025.
Elle nous livre un regard lucide sur les comportements d’achat, la place du « prix juste », et les clés pour créer un récit collectif qui mobilise sans culpabiliser.

On entend souvent que le prix est le premier critère d’achat. Vos études confirment-elles cette idée ?

Julia Pacifico : Oui… mais la réalité est plus nuancée. Le prix reste central dans la décision, mais ce qui compte vraiment, c’est la notion de prix juste.
Chaque client a une idée du prix qu’il juge acceptable, influencée par la qualité, la marque ou encore l’expérience vécue.
Ce « prix juste » peut évoluer si l’entreprise explique et joue la transparence sur ce qu’il y a derrière le produit.

Un exemple : dans les transports publics, beaucoup trouvent les tarifs élevés… alors qu’ils sont faibles par rapport aux coûts réels.
En période de crise, le prix peut devenir le seul critère. Et attention : les consommateurs sont particulièrement sensibles à l’idée que les entreprises ne s’enrichissent pas à leurs dépens.

La durabilité est-elle perçue comme un coût supplémentaire ?

J.P. : Pas forcément. Les clients comparent souvent les prix avec la concurrence et font du fact-checking.
Cette vérification corrige souvent une première impression erronée.

Qu’est-ce qui motive réellement un achat durable ?

J.P. : Trois grandes motivations reviennent :

  1. Conscience personnelle – acheter éthique, sans nuire à autrui.
  2. Bien-être – privilégier des produits bons pour soi.
  3. Rationalité économique – sur la durée, certains produits durables coûtent moins cher (ex. : voiture électrique).

Cela dit, seuls 10 % des Romands achètent par conviction durable. Ce sont souvent des 65 ans et plus, aisés.
C’est moins que ceux qui achètent « premium » pour la qualité (17 %). Les autres critères clés sont la facilité d’usage et le rapport qualité/prix.

Pourtant, la compréhension des enjeux augmente. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Le sujet est plus médiatisé, mais il n’y a pas toujours de lien entre engagement citoyen et acte d’achat.
Signer une pétition ne signifie pas acheter en accord avec ses convictions… et inversement.

Globalement, les consommateurs en ont assez qu’on leur dise que c’est à eux de faire les efforts.
Ils attendent que les entreprises prennent le relais. Et le discours inverse (« produire durable coûte plus cher ») ne fait qu’alimenter un jeu de ping-pong stérile.

L’enjeu : créer un récit commun, ancré dans le quotidien, avec un langage partagé.

Comment rendre les actions RSE plus tangibles ?

En BtoC, les arguments techniques touchent peu.
La clé, c’est :

  • Savoir à qui on parle
  • Comprendre leur point de vue
  • Construire un récit collectif, avec empathie et bénéfices concrets

Les SIG à Genève sont un bon exemple : message clair (« on est là avec vous »), adaptation aux publics, excellente confiance des clients.
Les petits acteurs ont souvent cet avantage de proximité.

À l’inverse, beaucoup d’entrepreneurs projettent leurs idées sur ce que veulent les clients… sans vraiment écouter. Et écouter demande du temps et des ressources.

Too Good To Go joue sur le rapport qualité/prix.
Fairtiq mise sur le meilleur tarif et la facilité d’usage.
Ce sont des promesses simples, compréhensibles, efficaces.

Les labels sont-ils un levier efficace ?

Pas toujours. La majorité des clients ne les connaissent pas.
Un label inconnu n’a pas d’impact. Mieux vaut mettre en avant les bénéfices associés que le label lui-même.

Les entreprises communiquent-elles assez sur le sujet ?

Il ne faut pas moins communiquer… mais mieux.
Cela passe par :

  • Se mettre à la place de la personne qui reçoit le message
  • Parler concret, tangible, chiffré, compréhensible
  • Miser sur le collectif : « Ensemble, nous avons… »
  • Être sincère et authentique, sans promesses grandiloquentes du type « sauver la planète »
Comment voyez-vous évoluer ces dynamiques dans un contexte international incertain ?

L’incertitude doit être intégrée à tous les niveaux.
Ce qui fonctionne aujourd’hui peut ne plus marcher demain. D’où l’importance :

  • D’être alerte et à l’écoute
  • De suivre ses clients, les médias, les études, les signaux faibles
  • D’agir vite… mais sans précipitation
Si vous pouviez poser une question à un oracle ?

Je lui demanderais comment créer un récit qui touche tout le monde et engage chacun à agir ensemble.
Un message universel. Mais… peut-être vaut-il mieux ne jamais rencontrer cet oracle, car un tel pouvoir pourrait aussi être dangereux.